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Pour une redéfinition des rapports entre Israéliens et Palestiniens

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May 23, 2005

Pour une redéfinition des rapports entre Israéliens et Palestiniens

by Vivien Jaboeuf

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Un soldat Israélien avec deux prisonniers Palestiniens à Hebron. Photo: Breaking the Silence
Des anciens soldats ou réservistes de Tsahal sont sortis de leur mutisme pour proposer une réflexion profonde sur le quotidien de l'occupation des territoires palestiniens et la « corruption morale » de toute une génération d'Israéliens. Interrogé récemment par Daniel Mermet, pour l'émission Là-bas si j'y suis, Yehuda Shaul, porte-parole de Breaking de silence, s'attaque à la banalité de l'humiliation faite aux Palestiniens. Alors que la Ligue de défense juive scande : « Arabs to the gas chamber », le mouvement pacifiste dénonce le climat de haine et de mépris.

Depuis juin 2004, ces jeunes Israéliens et Israéliennes ont fait connaître, de façon anonyme, leurs troublantes expériences de service militaire par à une exposition intitulée Breaking the silence. Celle-ci exhibe une soixantaine de photos accompagnées d'enregistrements audio et vidéo évoquant les crimes et les abus commis principalement envers les habitants d'Hébron. Aujourd'hui relayé par la presse nationale et internationale, les témoignages de ces « refuzniks » de l'occupation ont fait le tour d'Israël et réveillé les consciences.

« Cette exposition n'a rien de politique », car elle présente « une part de ce qu'il y a de plus fondamental, de plus humain, elle est une réflexion après coup », prévient Yéhuda Shaul. Le catalyseur de l'initiative est en effet une révolte individuelle et sincère qui s'affirme comme un retour pédagogique voire thérapeutique sur un état de conditionnement mental collectif. « Quand on est dans l'action, on est incapable, on ne veut pas et on fait tout pour ne pas comprendre. On crée une vraie muraille de silence pour ignorer la réalité, car si on en prenait conscience, on ne se lèverait plus le matin. Et ce n'est qu'après avoir pris du recul par rapport à nos actions qu'on en comprend la gravité », atteste l'ancien soldat.

Conséquences de l'occupation

Y. Shaul ne cherche pas à discourir sur la légitimité ou non de cette guerre, là n'est pas son but. Ses observations partent d'une réalité et de ses implications intrinsèques : « Dans une guerre, il y a des morts et des blessés, et ce n'est pas facile à assumer. Mais le vrai problème est l'influence d'une occupation et le contrôle sur une population (palestinienne) et sur la morale et les sentiments de toute une génération (israélienne). D'un côté, il y a la lutte contre le terrorisme, de l'autre, la volonté d'imposer un pouvoir à une population et ses effets sur notre société ».

Les intellectuels israéliens parlent de « corruption morale », une expression critique qui définit ici le déclin de la raison au profit d'intérêts ubuesques. Et d'après Y. Shaul, cette corruption est le contrecoup de la guerre, « un prix à payer en terme de génération ». « Et sommes-nous prêt à le payer ? Si on me dit que mon fils frappe des vieilles dames ou casse les murs d'une épicerie pour se fournir en cigarettes, moi, je n'ai plus rien à lui dire. S'il est prêt à le faire, le dialogue est terminé entre nous ».

« La société entière est donc responsable »

Qui doit endosser alors le rôle du coupable : l'armée, la société israélienne, le gouvernement, les soldats ? Y. Shaul dévoile alors la cible visée par l'exposition : « Nous n'accusons pas l'armée car elle est mise dans une situation où elle peut améliorer les choses, éviter certaines bavures, mais, en général, les agissements de l'armée sont le résultat d'une politique. La société entière est donc responsable, c'est elle qui nous envoie et qui nous dit : faites le sale boulot là-bas, et lorsque vous revenez le jeudi soir pour votre permission surtout souriez, ne nous parlez pas de ce qui s'y passe, on ne veut pas le savoir ».

Selon lui, ce refus de savoir, de comprendre et d'accepter la réalité persiste même devant l'évidence des faits et la puissance des témoignages des soldats. « La réaction de la société à l'égard de notre exposition est le déni. Ils refusent d'endosser la responsabilité des bavures en imaginant que leurs enfants ne feraient jamais ce genre de choses. Pour eux, ce ne sont que quelques salopards qui commettent ces crimes ». Sachant que la prise de conscience est l'étape la plus dure à passer, Y. Shaul souhaite que la société puisse « se regarder dans un miroir et voir son vrai visage ». « Et lorsque la mère embrasse son fils le jeudi soir, elle devrait savoir que ce même fils a donné, dimanche, une claque à une vieille dame et s'est fait photographier, lundi, avec des cadavres », poursuit-il.

« La banalité est l'enjeu central »

« C'est le retour à la banalité du mal » souligne D. Mermet, l'installation d'un univers où l'homme perd tous ses acquis, ses repères sociaux et humains qui lui permettaient d'avoir sa propre justesse de raisonnement, une rectitude du comportement et de la morale. « C'est l'impossibilité de voir et de comprendre la réalité dans laquelle on se trouve et de discerner le bien du mal. En entrant dans l'armée, toutes nos valeurs et idéologies disparaissent complètement comme si on les avait mises dans un mixeur et mélangées. Dès lors, le bien et le mal n'ont plus aucune signification », déplore l'ancien réserviste qui a servi à Hébron.

Pour lui, « la banalité est l'enjeu central. Après trois années dans l'armée, ce qui n'était pas banal, c'est-à-dire se faire photographier avec des cadavres, tirer n'importe comment sur la population, devient la routine. Tous ces vices suivent un processus d'évolution : on commence à entrer dans les magasins pour prendre des cigarettes, au barrage on va piquer à quelqu'un son chapelet, puis ce sont des choses beaucoup plus graves comme le vol de matériel électronique, d'ordinateurs. Ce qui était au départ de simples bavures devient la norme. Et nous ne voulons pas voir cette norme se développer dans les territoires occupés ».

L'exposition désire alors « Briser le silence », comme briser l'apparente banalité des photos qui cachent la présence des actes imbus de mépris, de violence, d'humiliation et de vengeance déguisée. L'une des photographies de l'exposition présente une vue panoramique d'un quartier de la ville d'Hébron, un cliché dont l'étonnante normalité visuelle reflète parfaitement le divorce mental entre le perçu et le réel. « Cette photo est typique de notre exposition : si on ne connaît pas son histoire, elle n'a aucune signification », avertit Y. Shaul. « Celle-ci a été prise d'une position de mitrailleur. Chaque fois que les Palestiniens tirent des coups de feu, on riposte. (…) Le lance-grenades n'est certainement pas une arme précise. En fonction de l'attaque adverse tu corriges le tire un peu à droite, plus en haut, pour arriver enfin à l'objectif. Dès lors, tu commences à arroser et tu pries au fond de ton cœur que personne n'a été touché, mais tu n'en sais absolument rien. Tu rentres dans un véritable jeu. Tu t'es entraîné et tu attends le moment où on va te donner l'ordre de tirer ; tu prends ton pied, car c'est pour ça que tu es là. Finalement, tu comprends et tu ne comprends pas à la fois qu'il y a quelque chose de vraiment tordu dans cette histoire ».

Sur une autre photo, on aperçoit à quelques mètres d'un soldat israélien deux jeunes Palestiniens accroupis, les yeux bandés. Une image qui, selon le porte-parole du mouvement, raconte pour le mieux le message qu'ils essayent de faire passer à travers l'exposition. « Que se passe-t-il dans la routine du soldat ? », lance-t-il. « Tu commences tous les soirs à revenir avec ton butin : ton Palestinien, capturé après avoir jeté des pierres. Il devient alors une entité, il n'est plus personne, tu n'as pour lui aucun sentiment. Pendant que tu fumes et te reposes, lui, il va rester dans son coin durant 10 ou 12 heures. Tu joues aux cartes tranquillement et tu oublies complètement qu'il est là. Ça devient quelque chose de vraiment banal ».

Un vent d'espoir

Touché dans son être, Y. Shaul témoigne de l'état de mutation de la personnalité dont sont l'objet les soldats israéliens. Une pathologie inhérente à la politique de domination qu'il serait vain, selon lui, de taire : « Une fois arrivé là-bas, le fusil à la main, tu commences à changer, et, lorsque tu reviens au sein de la société, tu te retrouves transformé. Quelles que soient tes opinions politiques et les formations ou initiatives initiées par le département de l'éducation de l'armée rien ne peut arrêter ce processus, car il est lié à la réalité de cette domination. Et aucune enquête qui tenterait de nous mettre en garde contre la divulgation de ce qui se passe là-bas ne changera cette réalité ».

La prise de conscience mise en avant par Y. Shaul est inexorable et s'affirme de jour en jour avec l'aide de la presse et de la justice israélienne. Parallèlement, la popularité croissante des mouvements pacifistes des deux bords accompagne le processus de décolonisation entamé par les autorités officielles. Bien plus qu'un plaidoyer pour un changement de la politique du gouvernement israélien, cette exposition est une réflexion universelle sur la condition humaine et laisse entrevoir l'émergence d'un réel désir de cohabitation entre les communautés.

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