Omniprésent, géant ou miniature, millénaire avéré et témoin du temps, l’arbre est tout simplement l’un des éléments clefs de notre écosystème et de la construction des civilisations. Or, à en croire les biologistes, l’homme n’a pas encore rencontré cet être surprenant.
La simple évocation de son nom induit instinctivement celui de bois, comme si l’arbre ne pouvait être utile que par son abattage. Un sort bien ironique puisque cette partie de son corps est déjà quasiment morte. Aveuglé par le visiblement utile, l’homme est passé à côté de l’arbre et de ses secrets. Si on échangeait alors un instant le dogme de l’ « arbre-tronc » contre un regard pausé sur la cime, les branches et les feuilles, où l’arbre garde un vrai trésor génétique et biochimique ?
Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, les chercheurs s’acharnent toujours à percer le mystère du code génétique de l’arbre. Une certitude, son génome est dix fois plus important que celui de l’homme et diffère dans chaque grande branche d’un même individu. Pour expliquer cet étonnant trait de caractère, Francis Hallé, biologiste et spécialiste de l’architecture des arbres, propose une hypothèse ingénieuse, mais impossible à vérifier : un arbre centenaire ou millénaire, bien sûr incapable de se mouvoir, s’adapterait aux changements climatiques en se transformant grâce à sa réserve génétique.
Voir plus haut
Aujourd’hui, la recherche de plante médicinale dans les forêts équatoriales s’effectue toujours au niveau du sous-bois alors que le filon biochimique se trouve bien perché. Pour s’en rapprocher, les chercheurs, avec l’aide d’ingénieurs, ont inventé le « radeau des cimes », une toile d’araignée mobile reposant sur la canopée. Leurs efforts ont été récompensés puisqu’ils y ont découvert une quantité cinq fois plus élevée de molécules actives, celles dont la médecine moderne raffole.
Ce déplacement de valeur est remarquable car il donne à la cime un intérêt économique supérieur à celui du tronc. Prenez 500 kg de feuilles, elles repousseront en un mois ; couper le bois, vous n’aurez plus de forêt et un écosystème endommagé ou détruit. Selon F. Hallé, si les compagnies pharmaceutiques jetaient leur dévolu sur la canopée, les ressources en molécules actives seraient économiquement protégées.
Mieux connaître l’arbre, c’est aussi découvrir sa personnalité et imaginer une entité timide, comme le chêne vert d’Europe. Celui-ci préfère garder un espace de 80 cm, une fente sinueuse et compliquée, entre sa couronne de feuilles et celle d’un congénère de la même espèce. Personne n’en connaît le fonctionnement ni l’utilité. On suppose seulement l’existence de sens et d’organes très développés.
Nos connaissances sur sa vie souterraine ne sont pas plus étendues, car aucun scientifique n’a pensé à déterrer un arbre pour en étudier vraiment le comportement. On sait malgré tout que les arbres correspondent chimiquement entre eux grâce à des champignons, les micorises, vivant en symbiose avec les racines.
Un être complexe, sensible, communicatif et doté d’un pouvoir presque surnaturel : le contrôle de sa propre pluie. Car une énigme se pose aux scientifiques : comment expliquer, en effet, la présence de forêts fortement arrosées jouxtant des milieux plus arides comme les savanes ? L’hypothèse des molécules volatiles libérées par l’arbre pour influencer la pluviométrie de son milieu de vie ne résulte encore que d’une vague idée.
Que l’homme soit incapable de comprendre le rôle joué par un être végétal aussi proche et essentiel est symptomatique de son ignorance vis-à-vis de son écosystème. F. Hallé s’en amuse avec talent : « Demandez au plus compétent des architectes de concevoir une tour de 60 mètres avec 20 hectares de surface à son sommet, des fondations de deux mètres de profondeur dans un sol meuble, il vous prendra pour un fou. Pourtant, il ne s’agit que d’un arbre… »
Texte inspiré d’un entretien de Radio Canada avec Francis Hallé.
A lire absolument : Francis Hallé, Plaidoyer pour l’arbre, Editions Actes Sud, 2005.
The Dominion is a monthly paper published by an incipient network of independent journalists in Canada. It aims to provide accurate, critical coverage that is accountable to its readers and the subjects it tackles. Taking its name from Canada's official status as both a colony and a colonial force, the Dominion examines politics, culture and daily life with a view to understanding the exercise of power.