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C'est à cela que ressemble la « responsabilité de protéger » ?

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Section: Français Geography: Latin America Haiti

November 1, 2005

C'est à cela que ressemble la « responsabilité de protéger » ?

Statut, élections et le Canada en Haïti

by Justin Podur

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Annette Auguste, alias So Ann, chanteuse populaire de musique folklorique, détenue par la Police Nationale d'Haïti. Photo: Projet d'information Haïti
Je suis parti en Haïti pour découvrir un pays qui ne comprend pas vraiment sa place dans le monde ou sur le continent américain. Un pays dont le peuple éprouve trop de fierté et pas assez de responsabilité vis-à-vis du passé, et continue d'agir ainsi par leur gouvernement et leurs élites. Un pays dont la situation semble très difficile à mettre en perspective pour mieux l'appréhender.

Je parle bien entendu du Canada.

Puisque Paul Martin est allé aux Nations Unies la semaine dernière et a remporté la « responsabilité de protéger » -une déclaration signifiant la perdition officielle de toute protection légale internationale de la souveraineté des pays- il serait intéressant de voir à quoi ressemblerait un cas d'étude de cette « responsabilité ».

Etant donné mon emploi du temps, il semblait approprié de commencer mon voyage en me rendant à l'ambassade du Canada, un immeuble neuf et brillant avec un terrain de tennis et une piscine, construit par SNC-Lavalin, l'entreprise d'ingénierie canadienne connue pour son contrat d'approvisionnement en munitions passé avec l'armée américaine et pour ses nombreuses autres opérations globales.

J'ai assisté à une conférence de presse de Denis Coderre, « conseiller spécial » du gouvernement canadien en Haïti. D. Coderre, tout comme SNC-Lavalin, apparaît dans les endroits les plus imprévus. Il est venu en tant que ministre de l'immigration. Encore une nomination spéciale pour s'occuper de la question des « Autochtones sans statut » au Canada.

Cela mérite une discussion. Le système canadien, pour « l'octroi » et le retrait du « statut » des autochtones sur la terre desquels le Canada existe, est soigneusement bâti de manière à faire disparaître les « autochtones » dans quelques générations.

La législation canadienne offre deux types de statut. L'enfant de parents ayant un plein statut autochtone bénéficiera de ce même statut. Mais l'enfant dont l'un des parents sera sans statut autochtone (quel que soit son statut) cet enfant ne se vera pas octroyer un plein statut.

En créant deux degrés de statut, l'Etat canadien s'assure ainsi de voir les autochtones se marier uniquement entre personnes de plein statut (ce qui est presque impossible dans une petite population) ou bien les descendants perdre le « statut ». Quoi qu'il en soit, la carrière de D. Coderre, entre le ministère de l'immigration et la question « autochtone », semble tout avoir à faire avec celui du « statut ».

D. Coderre avait annoncé 2,25 millions de dollars pour les élections en Haïti. Cet argent devait servir à rémunérer 25 officiers de police retraités canadiens. Ces officiers de police vont, selon D. Coderre, aider à « stabiliser » le pays avant les élections qui devraient se tenir le 20 novembre.

D. Coderre a également annoncé un « concert pour l'espoir » le 23 octobre au Théâtre Rex. Nous avons pris un CD échantillon.

Quelques-uns de ses propos méritent d'être souligné.

A propos du nombre ahurissant de 54 candidats aux présidentielles, D. Coderre a affirmé que la « démocratie était comme une fleur qui nécessite des soins permanents ».

Concernant le faible taux d'inscription, avec 2,4 millions de votants sur quelques 4,5 millions d'électeurs potentiels, D. Coderre a répondu qu'il respectait le processus engagé par le peuple haïtien, en assurant que de nouvelles personnes s'inscrivent continuellement.

Restant à savoir si le gouvernement haïtien verrait réellement une partie des 2,25 millions de CAD promis. D. Coderre a conseillé au journaliste d'adresser cette question à l'Agence Canadienne pour le Développement International (ACDI).

Le discours de D. Coderre, qui s'est adressé à 25 journalistes haïtiens venant des médias du courant dominant (radio et télévision) et semblant vouloir à tout prix trouver quelque chose d'intéressant à l'oeuvre, était littéralement parsemé du mot « terroriste ». « Les terroristes voulaient prévenir la tenue d'élections, mais nous avons gagné cette bataille, et, en février 2006, il y aura un événement historique en Haïti. Nous sommes, pour ainsi dire, à la croisée des chemins ». Même le Fanmi Lavalas, parti politique de J-B. Aristide, devenait impliqué dans les élections, a-t-il dit, comme pour prouver son argument.

Ce n'est pas le cas d'Yvon Neptune. Le Premier ministre constitutionnel est en prison depuis plus d'un an, accusé d'un « massacre » à St. Marc sur la base de preuves contestables. Les agents de l'ONU ont ainsi demandé sa libération ou du moins que la procédure judiciaire soit proprement suivie. Incarcéré depuis juin 2004, Y. Neptune n'a été formellement mis en accusation que le 20 septembre 2005.

Finalement, peu importe le vainqueur des élections. Le Canada a promis un « engagement à long terme » afin d'accompagner le peuple haïtien. Quinze minutes d'annonce, trois questions, et D. Coderre était parti.

De là, ce n'était qu'un court trajet jusqu'au commissariat de police où Annette Auguste (appelé aussi So Ann) est également détenue depuis le 10 mai, 2004. Les Marines ont défoncé sa porte, tiré sur ses chiens, menotté sa petite-fille de 5 ans, et emmené cette grand-mère et chanteuse de 70 ans.

So Ann est enfermée dans un commissariat de police avec 147 autres femmes. Lorsque l'on lui demande, assise dans un coin de cellules et sous le regard des gardiens et des jeunes prisonnières, combien de ces femmes sont prisonnières politiques, elle répond « toutes ». Selon elle, ces femmes ont toutes été recueillies dans les quartiers pauvres, et accusées de « s'associer » avec des malfaiteurs - un terme qui a été pris au code civil napoléonien.

Quant à So Ann, elle nous a expliqué les complexités étranges de l'action engagée contre elle. En premier lieu, les Marines l'ont accusée de planifier une attaque en collusion avec des musulmans d'une mosquée locale. Etant donné que cela est arrivé le 10 mai 2004, nous avons conclu à une erreur dans le système d'accusations des forces américaines, lesquelles doivent avoir accidentellement pris un dossier d'accusation relatif à l'Irak.

Lorsque l'absence de mosquée dans le quartier de So Ann a jeté un doute sur cette accusation, ils ont tenté de rectifier celle-ci en attaque contre l'opposition qui fit face au président Aristide en septembre 2003. Elle était à l'hôpital à l'époque. Puis, ils ont fait apparaître un témoin prétendant l'avoir vue broyer un bébé à l'aide d'un mortier et d'un pilon pour que J-B. Aristide puisse boire son sang. Le témoin a dit que So Ann l'avait appelé pour assister au rituel et a même présenté un numéro de téléphone que So Ann n'a acquis que quelques mois après la tenue du prétendu rituel. Puisque cette accusation est soutenue par au moins un témoignage (même si le témoin se trouve actuellement en France et ne s'est pas manifesté depuis longtemps), c'est ce chef d'inculpation qu'ils ont retenu.

Nous n'étions pas les seuls à rendre visite à So Ann. Quelques mois auparavant l'ambassadeur américain James B. Foley avait envoyé Gérard Gilles, l'ex-sénateur du Fanmi Lavalas et candidat aux présidentielles de 2005, et Roudy Heriveaux, une autre figure du parti, pour lui demander son soutien. So Ann a refusé la proposition.

Plus surprenant encore, So Ann avance que les chefs paramilitaires Guy Philippe et Louis Jodel Chamblain lui ont rendu visite dans le but d'obtenir son soutien pour leurs propres projets électoraux. Imaginant une erreur de traduction, j'ai demandé la confirmation de ces propos. « Vous ne pouvez pas en croire vos oreilles ? Je leur ai dit : vous êtes la raison pour laquelle je suis ici », a réagit So Ann. Jodel Chamblain était un des auteurs clé du massacre des Gonaïves sous le régime militaire de 1991-94, et son jugement a été un des rares actes louables du système judiciaire haïtien pendant les années où le Lavalas était au pouvoir. Amnesty International s'en était d'ailleurs félicité. Par contre, l'ONG fut choquée d'apprendre l'annulation du verdict condamnant J. Chamblain sous le nouveau gouvernement.

Sous l'afflût de ce genre de sollicitation, quelle peut-être la position de So Ann sur les prochaines élections ? Elle dit vouloir l'inscription des partisans de Lavalas. « Si on s'inscrit, on sera préparé, quoi qu'il arrive », annonce-t-elle. Elle n'a aucune intention de se présenter aux élections elle-même parce qu'elle considère que le Lavalas devrait se tenir à sa décision de boycotter les élections tant que les prisonniers politiques n'auront seront pas été libérés. Bien que les autorités rendent l'inscription particulièrement difficile dans les quartiers populaires pro-Lavalas tels que Bel Air et Cité Soleil, So Ann pense néanmoins que le Lavalas peut gagner en appelant à l'unité, même en considérant le faible taux actuel de 2,4 millions d'inscrits.

So Ann réagit aux accusations absurdes lancées contre elle et à son éventuelle libération, laquelle apporterait un semblant de démocratie avant les élections. « S'ils me libèrent, ils vont se créer des soucis », a-t-elle répondu, « parce qu'ils savent que les gens vont se mobiliser ».

So Ann est lumineuse, brillante, vive, mais dans une prison misérable. D. Coderre est froid, bureaucrate et sur la défensive dans un univers aux multimillions de dollars. Quelle est son excuse, à votre avis ?


Traduit de l'anglais par Aroa El Horani

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