Quiconque tient à la vie évite de sortir le soir à Kandahar. Dans cette ville, véritable coupe-gorge, les chances de survie diminuent au coucher du soleil.
Subissant quotidiennement cette situation d’insécurité, la population s’exaspère et désigne les coupables. Plus de cinq ans après les promesses de paix, de prospérité et de liberté, nombreux sont ceux qui souhaitent le retour des Talibans.
« Les États-unis se disent démocratiques, modernes et possesseur du savoir, mais ils nous mystifient de tant de manières. Comment pouvons-nous leur pardonner ? », s’indigne Faiz Mohammed Karigar, un résident de Kandahar.
« Si je m’assois à une table avec un Américain et il me dit qu’il nous a apporté la liberté, je vais lui répondre qu’il nous a trompé : “ Tu ne nous a pas apporté la liberté “. »
Alors que le monde commence à prendre la pleine mesure de l’horreur en Irak, l’Afghanistan sombre dans le même bourbier infernal. Chaque semaine, la liste des morts s’allonge dans une guerre que le Premier ministre du Canada, Stephen Harper, considère sur le point d’être remportée.
« Quand les Talibans étaient ici, je me suis enfui jusqu’à la frontière iranienne, mais je n’ai jamais été inquiet pour ma famille », assure M. Karigar. « Chaque minute durant les trois dernières années, j’ai été très inquiet. Peut-être les Américains vont venir chez moi ce soir, toucher ma femme, toucher mes enfants et m’arrêter. »
« J’ai déjà décidé de me tenir debout, de les affronter. Je vais me dresser contre eux même si je les vois dans la rue. Je vais me battre contre eux avec ma langue, avec mes mains, avec des fusils. Je vais me battre contre eux de toutes les manières possibles. »
C’est au sud, dans la province de Kandahar, que le mouvement Taliban est né, et c’est là qu’il est revenu à la vie, régénéré par la colère des Afghans envers les troupes étrangères.
Quand le Mollah Mohammed Omar était au pouvoir, les Afghans pouvaient marcher en sécurité dans la rue, tant qu’ils souscrivaient à l’interprétation stricte de la Loi islamique. Maintenant, une simple sortie au marché est risquée.
« C’est exact, [le président Hamid] Karzai en appelle toujours à la démocratie et assure que tout va bien, mais ce ne sont que des mots », proteste Maria Farah, une mère de cinq enfants. « Si vous rencontrez des femmes, leurs visages sont très tristes. Je ne dis pas seulement deux ou trois femmes. Tous nos visages sont très tristes. Si vous allez dans les maisons, vous verrez la même expression sur le visage des maris car ils n’arrivent pas à trouver d’emploi et s’inquiètent pour la sécurité et l’avenir des enfants. »
« Je ne peux seulement parler de la ville de Kandahar. Je crois que la vie sous les Talibans était très bonne. Si nous n’avions pas le ventre plein, nous pouvions au moins obtenir un peu de nourriture et puis aller dormir. Si nous sortions quelque part, il n’y avait aucun problème », ajoute-t-elle.
« Qu’en est-il maintenant ? Si nous sortons, nous ne savons pas si nous rentrerons à la maison sain et sauf. S’il y a une explosion et que les Américains passent par là, ils vont ouvrir le feu sur tout le monde. Les problèmes de sécurité sont considérables ici. Si une personne roule sur l’autoroute, elle sera arrêtée et décapitée. Si les femmes sortent de la maison la nuit tombée, les gens les regardent avec de la haine dans les yeux. »
La femme de 33 ans termine notre conversation par une simple requête : « Demandez à [George W.] Bush de venir ici une seule fois pour rencontrer des femmes qui veulent lui arracher la peau ».
Peu de temps après leur arrivée à Kandahar, au milieu des années 1990, les Talibans ont apporté la paix à une région jusque là dirigée par des seigneurs de guerre rivaux.
Aujourd’hui, c’est une des régions les plus dangereuses du pays ; les violences politique et criminelle y répandent la peur à travers la population. Dans cette province du sud, les quelques 2 500 soldats canadiens font face aux attaques-suicides, aux échanges de coups de feu et aux bombardements routiers de plus en plus fréquents. Les pertes en vies humaines augmentent dans les deux camps armés.
Mais quelle que soit la cause réelle des effusions de sang, les Afghans blâment presque toujours les soldats étrangers et les forces de sécurité locales. Un grand nombre d’entre eux considèrent la présence des États-Unis dans leur pays comme une occupation militaire, ne faisant souvent peu ou pas de distinction entre les différentes nations engagées dans la mission dirigée par l’OTAN.
« Peu importe si une route a été construite », commente Haji Abdul Rahman, un aîné tribal. « Si vous construisez une route et tuez en même temps, quel est le bénéfice ? »
« Tout le monde est voleur. Je te garantis que si tu t’assois dans ma voiture et que je t’emmène faire un tour, aucun Taliban ne va te prendre. Mais je ne peux rien te garantir de la police. Si on t’arrête, on va te voler ton argent et ta caméra. »
Son ami, Abdul Hamid, partage ses inquiétudes. Ses six fils sont sans emploi et il croit que le jihad est la seule possibilité d’avenir pour l’Afghanistan.
« La situation est bien pire que la période d’occupation russe », dit l’homme de 71 ans. « À cette époque, peut-être étions-nous inquiets qu’un missile s’écrase sur notre maison, mais nous n’avions pas peur qu’ils viennent eux-mêmes dans notre maison. »
« Un de mes fils voulait se joindre aux militaires. L’idée ne me plaisait pas. Je lui ai dit que notre pays est détraqué, que tout le monde est voleur et qu’il faut se tenir debout et se battre pour la vérité. »
Panjwayi est une place forte des Talibans dans l’ouest de la province de Kandahar. En mai dernier, les forces menées par les États-Unis ont attaqué par voie aérienne les présumés insurgés du district.
Les officiels américains ont annoncé la mort de 80 militants, mais les villageois présents sur les lieux affirment que nombre de victimes étaient des civils.
Mawlawi Abdul Hadid, un homme de 45 ans, affirme que dix-huit membres de sa famille ont péri lors du raid. Selon lui, une petite fille de deux ans figurait sur la liste de la trentaine de victimes innocentes.
« Au début, vous n’aviez qu’un ennemi. Puis vous vous en êtes fait deux, puis trois, et maintenant moi aussi je me lève contre vous », déclare-t-il. « Vous avez fait de moi votre ennemi et je vais me lever contre vous. »
« Les Talibans sont les fils de ce pays : mon fils est un Talib et ton fils est un Talib », ajoute M. Hadid en faisant des gestes vers un autre homme.
« Les Talibans se battent pour nos droits, l’humanité et la vérité. Jour après jour les Américains perdent des appuis et beaucoup de gens soutiennent désormais les Talibans. »
Quand on lui demande combien de temps va prendre la défaite les soldats étrangers, M. Hadid donne une réponse qu’on entend de plus en plus à travers l’Afghanistan.
« Dans l’Islam, nous ne savons pas ce qui va arriver demain », dit-il. « Mais nous savons une chose : Dieu les a amenés ici, et Dieu les fera partir. »
Traduit par Loca Noregreb
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La vérite des uns n'est pas celle des autres
Oui, cet article est très intéressant, et très édifiant.
L'occident tend à penser que son "modèle de société" est le bon, et qu'il est souhaitable de l'appliquer à l'ensemble de la planète.
Bien des régimes totalitaires ont défendu la même idée dans le passé...
Le modèle occidental me semble de moins en moins convaincant, en occident lui-même (et je suis un occidental pur-jus), alors il me semble d'autant plus contestable de vouloir l'imposer aux autres.
Je ne pense pas qu'on puisse juger, vu de notre coté, si notre "modèle" est adapté et judicieux pour un autre pays, surtout quand on en connait mal la culture, les coutumes, le passé et les aspirations de ses habitants.
Il me semble pourtant que nous avons assez de recul historique pour comprendre que les colonisations ont été des erreurs et des échecs, que les intrusions libertaires en asie, au moyen orient et ailleur, ont aussi été des échecs.
Chaque pays à sans doute seul le droit de décider de son évolution, de son modèle de société et de son avenir.
Le "droit d'ingérance" n'est peut-être qu'une utopie occidentale.